Quand on s'intéresse aux processus d'acquisition et d'apprentissage, on tombe rapidement sur le schéma bien pratique des compétences et des consciences. Pour résumer, au début, vous ne savez pas que vous ne savez pas faire (incompétence inconsciente), puis vous vous apercevez que, ma foi, vous ne savez pas faire (incompétence consciente) ; à force de travail, vous finissez par savoir que vous savez faire (compétence consciente) jusqu'au point où, finalement, vous n'avez plus trop idée de ce que vous faites quand vous le faites (compétence inconsciente). A ce dernier stade, vous avez dépassé la maîtrise, vous êtes devenu(e) expert(e)s. Se pose alors la question de savoir combien de temps cela prend, et s'il est pertinent d'établir une moyenne.
Dans le langage courant, on parle d'expert pour indiquer d'une personne qu'elle est spécialiste d'un domaine en particulier, sur lequel elle est par conséquent à même d'avoir un avis. La définition exacte est (Larousse) : "1. Personne dont la profession consiste à évaluer la valeur de quelque chose, [...] ou à attester l'authenticité des objets d'art 2. Personne apte à juger de quelque chose, connaisseur". Un expert possède donc suffisamment de maîtrise d'une chose, ou d'une activité, pour avoir la capacité de porter dessus un avis fiable. Mais comment mesure-t-on l'expertise ? S'il est délicat de mesurer l'expertise d'un savoir, celle-ci se constate par contre dans l'excellence d'une pratique.
IN EXCELSIS porte dans son nom même son attachement à l'excellence, qui n'est pas vue comme une obligation pénible, mais plutôt comme l'attitude consistant à faire toujours de son mieux en s'adaptant aux circonstances. L'excellence est une notion bien présente dans les milieux athlétiques et artistiques, c'est donc sans surprise qu'une mesure de l'expertise a été conduite à l'Académie de Musique de Berlin. Le psychologue K. Anders Ericcson a étudié trois groupes de violonistes, depuis l'âge de 5 ans jusqu'à leur 21 ans.
La conclusion de l'étude, dont vous trouverez le détail dans les sources ci-dessous, est qu'on ne naît pas expert, mais qu'on le devient. Les performances extraordinaires sont le produit d'années de pratique délibérée et de coaching, pas d'un talent ni d'une compétence innée.
La plupart des études sur l'expertise, regroupant plus de 100 scientifiques œuvrant dans des domaines aussi variés que les échecs, la musique, la programmation informatique, la chirurgie, l'écriture, la danse, la lutte anti-incendie etc., ont été compilées dans "The Cambridge Handbook of Expertise" (plus de 900 pages) et "Expert Performance", ouvrages publiés par l'Université de Cambridge (références ci-dessous). Pour définir ce qu'est la vraie expertise, K. Anders Ericsson et ses collègues ont défini trois points : tout d'abord, elle doit mener à une performance constamment supérieure à celles de pairs experts ; ensuite, elle produit des résultats concrets ; enfin, elle doit être reproductible et mesurable en laboratoire car, comme le disait Lord Kelvin, "si on ne peut pas le mesurer, on ne peut pas l'améliorer".
Notez que, dans un article de la Harvard Business Review, il est mentionné que le développement de l'expertise requiert, à un moment donné, de travailler avec un coach capable de donner des retours constructifs et sans concession. Les experts sont "des étudiants extrêmement motivés qui recherchent ce genre de retour [...] ils choisissent délibérément des coaches qui ne s'encombrent pas de sentiments pour les mettre au défi et les conduire vers des niveaux de performance plus élevés". Mais ce qu'il ressort surtout de l'étude, c'est donc que l'expertise s'acquière par une pratique délibérée, c'est-à-dire une pratique dont le but est l'amélioration de la performance, par opposition à une pratique qui n'est que répétition de l'acquis.
La pratique délibérée induit deux types d'apprentissage : l'amélioration des compétences déjà acquises, et le développement au delà de ces compétences. L'immense concentration nécessaire pour entreprendre ces tâches jumelles limite le temps que l'on peut y consacrer. De fait, inutile de passer ses journées au labeur. Les résultats montrent qu'il est préférable de consacrer deux heures par jour à s'améliorer plutôt que six. Le violoniste Nathan Milstein en a produit d'ailleurs un témoignage empirique : "un jour, j'ai commencé à me sentir mal parce que les autres travaillaient toute la journée. J'ai demandé à [mon mentor] le Professeur Auer combien d'heures je devais pratiquer, et il m'a répondu "ça n'a vraiment aucune importance, la durée. Si tu pratiques avec tes doigts, rien ne sera jamais suffisant. Si tu pratiques avec ta tête, deux heures seront tout ce qu'il te faut".
Le temps est un élément essentiel dans la progression vers l'expertise. Les recherches de K. Anders Ericcson sont même parvenues à donner un montant chiffré. Son équipe et lui-même ont montré que les artistes les plus "talentueux" avaient tous besoin d'un minimum de 10 000 heures (environ 10 ans) d'entraînement intensif avant de pouvoir gagner des compétitions internationales, parfois davantage (pour certains musiciens exceptionnels, il leur fallu 15 à 25 ans).
Ainsi, si vous souhaitez devenir expert dans un champ particulier, il vous faudra pratiquer de manière délibérée pendant une dizaine d'années... de quoi réduire singulièrement le nombre "d'experts" qui se promènent quotidiennement dans les médias. Sans forcément aller si loin, cela peut suffire à nous inspirer de bonnes pratiques quotidiennes.
Par exemple, en considérant un domaine dans lequel vous souhaitez progresser, à quelle pratique délibérée pourriez-vous consacrer 30 mn de votre temps quotidien ?
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- K. Anders Ericsson, Michael J. Prietula, and Edward T. Cokely, The Making of an Expert, Harvard Business Review, 2007
- K. Anders Ericsson, Roy W. Roring and Kiruthiga Nandagopal, Giftedness and evidence for reproducibly superior performance: an account based on the expert performance framework, Florida State University, 2007
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