Des deux réunions "phares", la Gouvernance en Holacracy est celle qui, de mon expérience, demande le plus de compréhension de la part des participants. On pourrait être tenté d'y voir une opportunité de trouver la meilleure solution possible à un problème présenté par un collaborateur, alors qu'elle est en fait, et simplement, le moyen pour ce collaborateur de se faciliter le travail tout seul.
En théorie, les gens voient bien de quoi il s'agit mais dès que l'on entre dans la pratique, on retrouve des incompréhensions et des ressentis parfois violents lors de certaines phases. Le fait que le processus ne prévoie pas de réaction sur les réactions, qu'on ne puisse plus poser de question une fois le tour de question passé, le fait que bon nombre d'objections sont "non valables" (alors que les tensions dont elles émanent sont légitimes), tout cela provoque une frustration et une incompréhension réelle, et le processus est alors parfois accusé d'inhumanité, souvent de noms d'oiseaux moins doux.
Personnellement, je vois la réunion de gouvernance en Holacracy comme une opportunité toute individuelle de me faciliter le travail. Quand je porte une tension en gouvernance, je ne suis pas là (directement) pour servir le bien commun, mais pour servir mes rôles le mieux possible (ce qui revient au même, car si mes rôles sont correctement conçus leur expression sert le bien commun). Ce n'est pas le lieu du consensus bien entendu, c'est un moyen qui me permet de traiter ce qui m'a empêché de faire mon travail le mieux possible récemment, et de le traiter de façon à ce que le problème n'arrive plus.
Je n'ai pas à chercher de consensus, je n'ai pas à solliciter l'adhésion, je dois juste faire en sorte d'ajuster l'outil collectif à ma disposition pour éradiquer le problème rencontré et s'assurer qu'il ne se reproduira pas. Pour moi, c'est le lieu du good is good enough. Je n'ai pas à trouver la solution idéale pour tout le monde, juste celle qui me convient et ne gêne personne.
De même, en tant que participant lors de la proposition d'une autre personne, je n'ai pas à l'aider à trouver la meilleure solution possible (à mon sens) à son problème, j'ai juste à respecter le fait que si elle a ce qui lui convient, c'est parfait. Peut-être qu'on pourrait faire mieux, peut-être qu'on pourrait se réunir pour définir un truc idéal, hors gouvernance. Mais si sa solution lui convient et qu'elle n'entrave personne ni n'enfreint les règles du jeu, n'est-ce pas déjà extraordinairement bon ?
Cette somme d'individualités concentrées sur la réalisation pour chacune du meilleur impact possible, ayant le pouvoir de modifier à volonté l'outil d'organisation commun pour à chaque fois optimiser cette réalisation, voilà à quoi ressemble, pour moi, une gouvernance en Holacracy : un endroit en constante évolution, malléable, adaptable par nature.
Ces derniers points en font aussi, d'une certaine manière, un outil participant à la sérénité collective. La structure pyramidale, qui compte certes de nombreuses qualités, a parmi ses défauts celui d'être fixe et rigide par nature. Il est très difficile de modifier la façon de travailler ensemble à partir de cette structure (le nombre de cabinets de conseil en réorganisation devrait suffire à nous le prouver).
Pour le collaborateur qui travaille dans cet environnement, il n'y a pas d'échappatoire (il est obligé de s'y conformer), et il n'y a pas moyen de le combattre pour l'améliorer. Cela peut créer de l'anxiété, car il se retrouve souvent à ne pas pouvoir faire autrement son travail que d'une manière qu'il estime mauvaise (disons, peu optimale).
Grâce au processus de gouvernance en Holacracy, nous avons une structure qu'il est possible de modifier à loisir tant que l'on tient compte des règles et que l'on n'entrave pas la bonne marche du tout. Autrement dit, le collaborateur peut (et doit) faire quelque chose pour régler ses problèmes : il suffit d'écrire sa tension, et de la porter en gouvernance. Un peu comme le praticien Getting Things Done écrit ce qu'il a à l'esprit pour ne plus y penser, confiant dans le fait qu'il pourra traiter ce qu'il vient d'écrire lors de la prochaine clarification de ses boites de réception.
De mon point de vue, il y a lors de l'élaboration d'une proposition de gouvernance un véritable "saut culturel" à faire : reconnaître qu'une solution – même imparfaite – est acceptable dès qu'elle est suffisante pour lever la tension du proposeur et ne cause objectivement pas de tort à l'organisation.
En somme : accepter la réalité du moment, l'imperfection et le temporaire.
Le nouveau point de repère : "La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer."